Face aux défis majeurs et aux crises successives qui se multiplient (covid19, changement climatique, guerre en Ukraine…), les entreprises alimentaires se réinventent et font évoluer leurs modèles de production pour répondre aux enjeux de résilience et de durabilité. En Wallonie c’est également le cas. Nous avons rencontré Youpea, marque proposant des produits à base de protéines végétales durables et locales, développée par deux sociétés issues respectivement des filières viandes et de pois. Un mariage contre-nature ? Au contraire un projet innovant et dans l’air du temps à découvrir au SIAL à Paris, le plus grand salon international de l’agroalimentaire. Rencontre.
C’est désormais connu, parmi les enjeux de durabilité qui touchent l’industrie agroalimentaire mondiale figure la consommation de protéines d’origine animales : augmentation de la qualité et diminution de la quantité afin de diminuer les émissions de gaz à effet de serre (CO2, CH4…) et l’emprise des terres agricoles sur les espaces naturels. La Wallonie, réputée pour son secteur ‘viande’ resté familial et traditionnel dans ses mécanismes de production, le secteur multiplie les collaborations entre acteurs de la chaîne afin de faire évoluer tout le système vers plus de durabilité.
Aidés par des acteurs belges et régionaux comme Fevia, la Fédération de l'industrie alimentaire belge ou Wagralim, le pôle de compétitivité wallon de l’agroalimentaire ou des outils financiers comme la Sogepa ou SRIW, les projets d’innovation stratégique à vocation internationale voient le jour. De quel type et avec quels objectifs ? Nous avons profité du SIAL qui se tient actuellement pour rencontrer l’équipe de Youpea, marque de substituts de viande nouvellement mise sur le marché grâce à la collaboration entre deux entreprises issues de deux secteurs a priori éloignés : le pois et la viande.
Bonjour Aurélie. Pourriez-vous d’abord nous présenter ce que propose la marque YouPea ?
Aurélie Maldague : Youpea, c’est simple, c’est une gamme de produits d’origine végétale belge (colza, chicorée, pois…) à haute teneur en protéines proposée comme alternative à la viande : Nuggie, Burgie, Hagie, il y en a pour tous les goûts et nous nous adressons à un large public : végés, flexitariens, santé, familial…
Les substituts d’origine végétale à la viande, c’est devenu un enjeu de société ?
AM : Oui tout à fait. Dans les années 2016-2017, la demande européenne était de 27 millions de tonnes de protéines brutes ce qui n’était pas négligeable. L'importation de ces protéines, quant à elle, représentait à cette époque 17 millions dont 13 de soja provenant du Brésil, d'Argentine et des USA. La tendance actuelle étant au régime flexitarien, mettant en avant la qualité plutôt que la quantité, l'empreinte carbone… les protéines végétales ont pris encore plus de place dans les habitudes alimentaires du public.
En 2020, la consommation mondiale dépassait les 13MT de protéines végétales et nous prévoyons 97MT en 2035. Pour se substituer aux importations lointaines et peu durables du continent américain, l’Europe a commencé à bouger. Aujourd’hui, l'Italie (soja) et la France (pois protéagineux) sont les plus gros producteurs de protéines végétales. Il y a donc là d’intéressantes sources pour s’approvisionner plus localement qu’outre-Atlantique.
En quoi votre produit est-il durable et innovant pour le consommateur ?
AM : Notre spécificité, au cœur du projet, c’est que tous nos ingrédients (poix, chicorée, huile de colza) proviennent de producteurs locaux soit belges soit du nord de la France. Bref nous avons là une vraie filière de circuit court en étant en contact permanent avec tous les membres de la chaîne de production. Au niveau santé, nos produits ont un nutriscore A, avec peu de graisses saturées et peu de sucres, ils n’ont aucun allergènes ou d’intolérance (les principaux du moins), pas de gluten, pas de fruits à coque, pas de soja, pas de lactose. Nous n’utilisons pas d’additifs ou de conservateurs et nous privilégions au maximum les ingrédients naturels.
Cette transparence est importante selon vous ?
AM : Tout à fait. Nous voulons montrer que les produits de substitution à la viande peuvent être sains et naturels et battre ce cliché de produits ultra transformés, gras et sucrés. Ça décourage les gens qui souhaitent diversifier leur alimentation en diminuant leur consommation de protéines d’origine animales.
Comment et pourquoi est né le projet Youpea ?
AM : Notre marque est le fruit d’une collaboration entre deux entreprises belges, Cosucra et Vlevia. En regroupant des agriculteurs locaux et des entreprises de transformations belges, elles ont souhaité proposer une gamme de produits « plant-based » sains et ancrés localement avec le terroir belge et plus durable que les produits similaires actuels d’origine industrielle…
Viande et pois, n’est-ce pas un peu une alliance contre-nature ?
AM : Au contraire, c’est assez logique. Ces secteurs connaissent de profonds changements et c’est en associant leurs compétences respectives que les deux sociétés peuvent proposer de nouveaux produits innovants et qui répondent aux enjeux de durabilité actuelle : santé, environnement, circuits courts, diminution de la consommation de viande… Elles ont bien senti la nécessité de répondre à l’essor de l’intérêt du public pour les produits végétaux et alternatives à la viande. Vlevia, ainsi que Cosucra, souhaitaient se diversifier. Vlevia a apporté son expertise dans la production et dispose d’une connaissance du marché, des comportements des consommateurs, des tailles des portions… et Cosucra a apporté son expertise en termes de développement et de qualité.
Combien de temps un projet comme celui-ci met-il de temps pour aboutir, de l’idée à la commercialisation ?
AM : En 2019, le Collège des Producteurs, Wagralim ainsi que l'Association de Promotion des Protéagineux et Olléagineux décident de miser principalement sur le pois protéagineux. Le projet Go4plant, alternative végétale d'origine belge à base de pois protéagineux, voit finalement le jour en 2021. Avec l'apport financier de la Région wallonne (investissement de 5 millions d’EUR de la SRIW et la Sogepa), la société a pu développer puis commercialiser, sous le nom Youpea, une première gamme de produits disponible en grande surface en Belgique à partir de février 2022. Nous sommes ici au SIAL aujourd’hui pour attaquer les marchés étrangers, France en tête.
Walopea, un programme pour optimiser la filière des protéines végétales
Parmi les priorités du pôle de compétitivité wallon Wagralim figure le développement de l’économie circulaire dans la filière agroalimentaire. Pour ce faire, la filière wallonne des protéines végétales a reçu un coup de pouce sous la forme d’un dispositif d’encadrement qui doit servir à soutenir le développement d’une filière ancrée localement via le Centre wallon de recherches agronomiques (CRA-W) et le Centre Pilote Céréales et Oléo-Protéagineux (CePiCOP).
Le plan wallon de développement de la filière des protéines végétales va permettre au sud du pays de porter à 15.000 hectares les surfaces consacrées aux cultures protéagineuses et produire environ 60.000 tonnes de pois (5.000 tonnes de protéines). Un des enjeux majeurs du programme, au-delà de la production de protéines végétales destinées à l'alimentation, c’est de lutter contre le changement climatique, en favorisant davantage de rotations des cultures, et de renforcer la résilience. Parmi les dix acteurs associés dans le projet figurent de grosses coopératives agricoles, le fournisseur de produits agricoles Walagri et Cosucra (v. plus haut), le spécialiste de la transformation des protéines végétales.
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